Leximnesia Pro – Florian Mortgat

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Traduction automatique et traducteurs humains : quelle différence ?

Utiliser un traducteur automatique pour vos documents est une fausse bonne idée. Bien que cette option soit tentante (après tout, le résultat est presque instantané et souvent gratuit), elle comporte un très fort risque d’erreur.

Les erreurs des traducteurs automatiques sont inévitables car pour bien traduire un texte, il faut en comprendre la teneur. La traduction automatique n’a pas, à l’heure actuelle, d’intelligence : elle se contente d’une transposition grammaticale ou d’un savant mécanisme statistique fondé sur des traductions réalisées, elles, par des professionnels. Ces méthodes offrent des résultats impressionnants, mais trompeurs : si dans certains cas, le résultat obtenu est bon, la méthode, elle, ne l’est pas. Le logiciel n’a pas compris le texte, et n’a aucun moyen de savoir si ce qu’il a écrit possède le moindre sens.

Pour vous en convaincre, il vous suffit de demander à un traducteur automatique de traduire un texte sans queue ni tête avec des phrases à la syntaxe incorrecte et tarabiscotée (par exemple « Bientôt, nous observerons ne pourra pas se tenir à distance des marchés relativement, pour des raisons évidentes, qui aurait occasionné un chamboulement ne surviendra pas. » : il ne bronchera pas. Un traducteur humain compétent, lui, vous signalera immédiatement que votre document n’a aucun sens et qu’il ne peut pas le traduire.

Les traducteurs automatique font des erreurs et ne vous donnent aucun moyen de les repérer facilement.

Exemples d’erreurs

Les exemples mentionnés ici sont tous issus de mes propres observations. Vous pouvez en trouver beaucoup d’autres (certains sites et pages web y sont consacrés et la Société française des traducteurs en mentionne elle aussi).

Erreurs ridicules

  • Sur la page en français d’une maison de bains allemande, le verbe saunieren (en allemand, « profiter d’un bon sauna ») avait été traduit par « reins de truie » (avec une majuscule, Saunieren peut également signifier rein de truie au pluriel). N’importe quel être humain serait interloqué que l’on prête aux reins de truie des vertus thérapeutiques et délassantes. Le logiciel, lui, s’en accomode : il n’a pas été programmé pour comprendre mais pour transposer, et il le fait en respectant scrupuleusement les règles. La page ainsi traduite est, au mieux, ridicule, et ne contribue pas à la bonne réputation de l’établissement.
  • Sur la notice en français d’un appareil équipé d’une batterie, le mot anglais charge (qui signifie simplement charge ou chargement dans ce contexte) était traduit par « accusation ». En effet, le mot anglais charge peut avoir cette signification. Un traducteur humain, même peu compétent, ne peut s’y tromper, mais un traducteur automatique n’a pas conscience du ridicule de cette traduction.
  • Sur un blog consacré à la finance, il était question des conséquences du « ressort arabe » (en réalité, le printemps arabe, le mot anglais spring étant ambigu).
  • Sur un site d’actualités, il était question d’une « grève de drones au Pakistan » (en réalité, une frappe, le logiciel ayant mal levé l’ambiguïté du mot anglais strike).
  • L’emballage d’une paire d’écouteurs munis de boucles de maintien affirmait fièrement, en gros caractères, « écouteurs d’agrafes », puis, plus loin, « dessin amincissez ». L’original était probablement clip earphones, slim design.

Erreurs dangereuses

  • Dans la partie d’une notice consacré aux instructions de sécurité électrique, les désignations des câbles étaient erronés et les consignes de branchement incompréhensibles. Ici, pour peu que les installateurs ne se méfient pas de leur manuel traduit automatiquement, un accident pourrait survenir.
  • Dans une communication privée, une invitation déplacée (à caractère sexuel) apparaît dans la traduction automatique d’un message qui signifie uniquement que le visage d’une personne ressemble à celui d’une autre.
  • Sur une publicité pour un jeu vidéo, un slogan à caractère raciste provenant vraisemblablement de la traduction par un logiciel d’une phrase en rapport avec « les ténèbres » par une phrase où il était question de combattre « les noirs ».

Qui est responsable en cas d’accident, d’échec d’une négociation ou de perte de clientèle suite à un malentendu né d’une traduction automatique ? Les fournisseurs de services de traduction automatique ont une clause de non-responsabilité et ont grand soin de ne pas garantir la fiabilité de leurs services. Le responsable est donc l’utilisateur du service.

Un traducteur peut-il utiliser la traduction automatique et en corriger le résultat pour aller plus vite ?

Les traducteurs utilisent parfois ce que l’on appelle la pré-traduction automatique (l’activité elle-même s’appelle post-révision). Le service de pré-traduction automatique utilisé est cependant très différent des services de traduction automatique grand public tels que proposés par Google ou Bing. En utilisant un service grand public, on perd plus de temps qu’on en gagne car la terminologie du domaine n’est pas respectée, la syntaxe mal analysée et les phrases sont souvent à réécrire entièrement.

En revanche, les services de pré-traduction utilisés par certains traducteurs permettent, dans certains domaines, de gagner en productivité. Comment ? Comme je n’ai jamais utilisé un tel service et que les détails de leur fonctionnement sont tenus secrets, je ne peux avancer que des hypothèses :

  • limitation à un domaine : au lieu de donner à un moteur statistique des traductions issues aussi bien de littérature que d’ingénierie et de publicité, on se contente de lui « faire apprendre » (par analyse de traductions effectuées par des professionnels) des traductions d’un seul domaine très spécifique. Ainsi, la terminologie sera mieux respectée
  • amélioration ciblées des moteurs pour certaines paires de langues : pour des langues ayant des syntaxes très similaires, il est peut-être possible d’éviter certaines erreurs spécifiques en ajoutant des règles particulières aux moteurs
  • utilisation combinée avec d’autres logiciels d’analyse (voire d’autres moteurs de traduction automatique) : il est possible d’enseigner beaucoup de choses à des moteurs d’analyse statistiques (notamment reconnaître certaines choses sur des images). En intégrant le résultat d’analyses (linguistiques ou non) au processus de sélection des expressions à utiliser dans le texte cible, il est certainement possible d’améliorer les résultats
  • utilisation combinée avec des moteurs de pré-traitement : ces moteurs seraient spécialisés dans la préparation du texte à traduire pour le rendre plus facile à analyser par des logiciels de traduction automatique
  • consignes données aux rédacteurs des documents sources : les moteurs statistiques sont peu prévisibles, mais les moteurs analytiques le sont davantage, et il est possible de prédire leur probabilité d’échec à traduire correctement en fonction de la syntaxe et du vocabulaire employés dans le texte source. En demandant aux rédacteurs de ne pas utiliser certains mots, certaines tournures, d’éviter les métaphores et références culturelles et d’utiliser une terminologie et une phraséologie approuvées, il est sûrement possible d’améliorer la qualité générale du résultat et de rendre ce dernier exploitable par des traducteurs réviseurs

La traduction automatique ne sert-elle donc à rien ?

Les traductions automatiques ont un degré de fiabilité exécrable et sont souvent de mauvaise qualité. Cependant, elles peuvent vous servir, notamment dans vos loisirs ou autres activités sans enjeu réel : par exemple, pour une recette de cuisine que vous souhaitez essayer mais qui est rédigée dans une langue totalement incompréhensible. Si vous êtes assez méfiant, vous pourrez sans doute détecter les incohérences les plus manifestes et utiliser votre bon sens pour ne pas vous empoisonner dans le pire des cas.

Vous pouvez aussi vous servir d’une traduction automatique si vous avez besoin de vous faire très vite une vague idée de la teneur d’un document. Mais dans ce cas, sachez que vous ne pouvez être certain d’aucune information que vous lisez, même lorsque les phrases semblent être rédigées dans un français très correct – un contresens peut se cacher derrière une formulation élégante. Si ce document a une quelconque importance pour vous, mieux vaut le faire traduire professionnellement malgré le temps et le coût supplémentaire que cela implique.

Si vous travaillez dans une association à but non lucratif et qu’il est évident qu’elle n’a pas les moyens de payer des traducteurs et que sa demande n’est pas abusive (en termes de volume, surtout), certains professionnels accepteront peut-être de réaliser une traduction bénévolement. Confier une traduction à un bénévole sans formation mais connaissant la langue est moins recommandé, mais toujours préférable à une traduction automatique.

Quelques règles à respecter concernant la traduction automatique :

N’utilisez jamais la traduction automatique dans les cas suivants :

  • par paresse (si vous connaissez bien la langue, vous comprendrez mieux par vous même qu’avec la traduction automatique)
  • pour un document que vous allez publier
  • pour un texte qui va être imprimé sur un produit, sur une immense affiche publicitaire, sur un tract, etc. même s’il ne s’agit que d’un seul mot : plus l’échantillon de texte fourni est court, plus les erreurs du traducteur automatique sont monumentales (les textes très courts posent aussi des problèmes aux traducteurs chevronnés, mais ces derniers peuvent utiliser leur intelligence, le contexte et peuvent demander à leur client de quoi il s’agit).
  • n’envoyez jamais un e-mail ou un courrier traduit automatiquement
  • ne basez jamais une décision importante sur une traduction automatique (décision de justice, décision d’embauche ou de licenciement, décision d’achat, d’investissement ou de vente, décision médicale ou stratégique, etc.)
  • ne vous faites jamais une opinion d’un produit ou d’une personne sur la base d’une traduction automatique
  • ne faites jamais confiance au résultat de ce qui a été traduit automatiquement : la lecture d’un document traduit automatiquement doit uniquement vous permettre de vous faire une idée sur la nature d’un document et sur son sujet général ; restez méfiant et, en cas de doute quant à l’importance potentielle d’une information du document, faites-le traduire par un professionnel

Et à l’avenir ?

L’avenir n’est pas prévisible. Une chose me paraît certaine : une traduction ne peut être fiable que si elle est réalisée par un agent qui comprend le sens de ce qu’il traduit.

Un automate peut-il avoir cette intelligence ? Pas s’il est programmé comme les traducteurs automatiques d’aujourd’hui (c’est à dire avec des statistiques ou des modèles de transposition). Cependant, il ne me semble pas impossible qu’une véritable intelligence artificielle voie le jour et que cette intelligence dépasse la nôtre.

Si cela devait se produire, cette machine intelligente pourrait alors remplacer les traducteurs, mais pourquoi s’arrêter à cette profession minoritaire ? Elle pourrait également remplacer tous les métiers fairant appel avant tout à notre cerveau, du stratège à l’artiste en passant par le technicien et l’écrivain.

Tant que cette intelligence artificielle-là ne sera pas advenue, la profession de traducteur restera nécessaire – bien qu’elle puisse certainement se transformer au contact des outils informatiques de plus en plus performants.

Et en parlant de performances, dans un avenir très proche, les services de traduction automatique généralistes à moteur statistique pourraient devenir non pas plus, mais moins performants qu’avant. En effet, ces moteurs sont basés sur un apprentissage à partir d’un corpus de traductions déjà réalisées. Cependant, appâtés par les corpus gigantesques disponibles sur Internet, les « dresseurs » pourraient oublier de vérifier la qualité de ces corpus et intégrer des… traductions automatiques à leur analyse. Ainsi, le serpent se mordrait la queue, la machine apprenant à traduire en utilisant (en partie) sa propre production (que divers sites utilisent déjà). La qualité se dégraderait alors. Cette hypothèse a été émise par des chercheurs de l’EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne), Frédéric Kaplan et Dana Kianfar.

Design et site : Florian Mortgat
Crédits photographiques et iconographiques : Florian Mortgat (sauf mention contraire) ; Crédits du portrait : Marie-Cécile Mortgat ; Conception du logo: Étienne Pot
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